Les différences culturelles des directions financières au sein d'un groupe international.
Comment manager des équipes internationales ? Comment gérer une expatriation ? Comment s’adapte-t-on à des cultures différentes ? Les départements financiers sont-ils perçus de la même manière partout ? Les rythmes de travail sont-ils similaires ? La culture d’un groupe international est-elle la même quel que soit le pays?
Nous avons interviewé deux de nos clients au sein du groupe agroalimentaire General Mills : David BRODOWSKA , Directeur Administratif et Financier France et Grégory LOCHE, Directeur des comptabilités et du contrôle interne, tous deux ayant évolué à l’étranger.
DB : « J’occupe aujourd’hui et depuis 2.5 ans, le poste de Directeur Administratif et Financier France. Je débute mon parcours chez Auchan en France et en Pologne à des postes de Contrôleur de gestion et Analyste Financier. J’ai par la suite évolué et depuis 18 ans au sein du groupe agroalimentaire General Mills sur différentes fonctions en France et à l’international : après 6 ans en France au poste de Manager Finance sur les marques Häagen Dazs, Old El Paso et Géant Vert puis de Plant Controller sur l’usine d’Häagen Dazs, je poursuis ma carrière entre la France et l’étranger : une expatriation de 4 ans en Allemagne, en tant que DAF sur la région Europe de l’Est. De retour pendant 3 ans en prenant la responsabilité des Finances de Yoplait, je repars 3 ans en Australie toujours en tant que DAF. »
GB : « Aujourd’hui et depuis un peu plus d’un an, j’occupe le poste d’Accounting Director au sein du groupe. J’ai débuté mon parcours en Ecosse pendant mes études puis aux Pays-Bas. J’ai ensuite principalement évolué au sein du groupe Uunet / Verizon pendant 12 ans aux Pays Bas, puis en France en tant que Controller EMEA, Finance Manager et Finance Controller. Je suis à présent et depuis près de 9 ans chez General Mills, où j’ai évolué à différents postes sur des projets d’envergure. »
DB : « Culturellement parlant, ces trois pays que sont la France, l’Allemagne et l’Australie sont relativement proches. Ce sont des cultures occidentales donc au global, il y a plus de points communs que de différences. Mais dans un même temps, c’est ce qui rend l’expérience intéressante. Il y a des différences culturelles qui ne sont pas perceptibles tout de suite mais qui sont réelles. Notamment dans la manière dont un département finance fonctionne ou dont les gens appréhendent la fonction au quotidien. Par exemple, le niveau d’attention au détail et de précision attendus sur certains sujets. Si je pense Allemagne, je pense détail, précision et respect des deadlines. En France et en Australie, on retrouve plutôt une meilleure capacité à appréhender la vision globale. L’important est d’en prendre conscience et d’adapter son management en conséquence pour pousser les équipes où elles n’iraient pas naturellement. En France, on doit leur demander de creuser des points de détails, alors qu’en Allemagne, ce n’est pas nécessaire. C’est plutôt la prise de recul qu’il faut encourager.
D’un point de vue organisation du département finance, on est sur des process très standardisés chez General Mills, il n’y a pas vraiment de différences selon les pays. Nous sommes sur des organisations « type » qui sont déployées partout. »
GL : « De mon côté, j’ai noté des détails significatifs dans le quotidien, entre latins et non-latins. Il y a pas mal de différences de perception et de timing : quand un anglais dit à un allemand, « je te rappelle dans 5 minutes », l’allemand regarde sa montre pour être sûr de ne pas manquer l’appel, l’anglais lui, rappellera dans les faits quand il aura fini ce qu’il est en train de faire. Le grec, ou l’italien est très expressif dans sa manière d’aborder les sujets quand l’allemand apparait très posé et carré. Cela peut faire cliché ou apparaitre comme une boutade mais dans les relations professionnelles quotidiennes, il faut s’adapter et comprendre les codes de chacun. Si un américain va s’attacher à comprendre 80% de la résolution d’un problème, ce sera un succès alors que le français a besoin de comprendre les tenants et aboutissants d’un sujet et donc va s’atteler aux 20% manquants. »
DB : « Pour ma part, ayant évolué dans différents pays au sein du groupe General Mills, j’ai pu constater que la place de la finance était la même car la culture finance est déterminée par l’ADN et les valeurs du groupe. Soit un rôle très « business partner » avec une dimension très forte de respect des règles locales et du contrôle interne. C’est la culture du groupe qui prévaut dans chacun des pays. General Mills est très soucieux d’assurer un équilibre vie professionnelle / vie privée, cela fait partie de ses valeurs. Il y a cependant des différences locales liées au rythme de travail.
Ma conclusion c’est qu’au final, sur le nombre d’heures travaillées par an, on retrouve quelque chose d’à peu près équivalent, mais dans la mise en œuvre c’est très différent. En France, il y a plus de jours de congés avec les RTT mais des journées plus longues. En Australie, les journées sont plus courtes mais avec quatre semaines de congés, et en Allemagne c’est entre les deux. Il faut donc rattraper les jours de congés car les attentes du groupe sont identiques quel que soit l’endroit du globe où vous vous trouvez. Mais en Australie, on ne planifie pas de meetings après 17h ou le vendredi après-midi ; en France l’amplitude horaire est plus importante. »
GL : « Oui, la durée des réunions illustre également des différences culturelles qu’il faut appréhender : l’anglais va scrupuleusement respecter l’horaire de début et de fin quand le français pourra dépasser mais attendre une prise de décision suite à cette réunion contrairement au premier. Le rythme hollandais est du 9h-17h, tout simplement parce qu’à 18h30, ils dînent ! Et le passage de la vie professionnelle au privé est plus fluide : dans les pays anglo-saxons ou nordiques, tout le monde se retrouve au pub après une journée de travail, c’est très bon enfant. A Amsterdam, tout se fait à vélo, j’ai retrouvé la ville provinciale que j’aimais en France et dont je suis originaire. En revanche, la place de la DAF peut différer non pas parce qu’on se trouve dans tel ou tel pays mais du fait de la culture financière insufflée par le groupe dans lequel on travaille. »
DB : « Là encore, c’est la culture groupe qui prédomine chez General Mills. Il y a des standards et des attentes, des compétences managériales que le groupe essaie de retrouver chez tous. Il est plus axé sur les potentiels que sur des écoles ou niveaux d’étude préétablis. Afin de diffuser une culture homogène aussi forte dans l’ensemble du groupe, General Mills a un programme appelé « Engaging leader » qui recense les compétences managériales et valeurs à mettre en exergue chez les collaborateurs. Ainsi tout le monde parle le même langage. Ils vont donc rechercher des profils individuels plutôt que des diplômes. C’est là que les soft skills prennent toute leur importance. Lors des entretiens, ils détectent certains traits de caractère : capacité à prendre des initiatives, à travailler en équipe, à valoriser le leadership et à régler les problèmes, mais également savoir apporter des solutions, détecter l’agilité relationnelle et organisationnelle. »
DB : « Ce qui va faire la différence, c’est la taille des marchés régionaux. C’est ce qui va impliquer des rapports différents avec Nyon, où se trouve notre siège Europe. Les process sont standards mais ont leurs spécificités locales : la culture des enseignes de grande distribution et les règles de promotion par exemple. L’enjeu principal pour un groupe comme General Mills, même si les process sont globaux, va être de customiser des outils qui ont vocation à être standards. Ça fait donc partie du rôle d’une DAF locale de faire remonter ces différences et de s’assurer que le local est préservé. Mais les KPI ne seront pas de la même nature par exemple.
En France les promotions ne sont pas financées par la grande distribution mais par les producteurs eux-mêmes. La grande distribution refacture aux producteurs les coûts des opérations promotionnelles ce qui n’est pas le cas en Australie. Cela oblige à travailler différemment les indicateurs financiers. Cependant une des missions de la DAF locale est de s’assurer de la standardisation des process et qu’on ne fait de la customisation que quand c’est absolument nécessaire. »
DB : « Les P&L sont standards, ce sont les KPI intermédiaires qui sont un peu différents en fonction des spécificités locales. C’est pour cela que tout doit être décliné le plus clairement possible et que chacun doit beaucoup communiquer sur ses spécificités pour être sûr de parler de la même chose. »
DB : « En Allemagne et en Australie, non cela n’est pas très compliqué car les cultures sont finalement assez proches. J’ai personnellement juste dû découvrir l’environnement local mais pas les process. Et professionnellement il y a une culture groupe forte, d’autant plus quand on monte dans l’organisation. Plus les gens ont un niveau élevé dans la hiérarchie, plus ils ont évolué dans différentes parties du groupe et plus les comportements managériaux sont similaires. »
GL : « Je ne me posais pas la question de l’adaptation car j’ai commencé à travailler à l’étranger. Donc c’est plutôt mon adaptation au système français qui a été difficile. J’ai tout d’abord découvert le formalisme français attendu à l’écrit par exemple alors que les anglo-saxons sont beaucoup plus directs et vont droit au but. J’ai commencé par avoir une vision d’une direction financière très axée business où la comptabilité et le contrôle de gestion ne font qu’un, contrairement à la France où ces services, tout en faisant partie d’un même département financier sont scindés en deux. La dichotomie entre les deux fonctions est très française. En France, la comptabilité sert les intérêts d’une multiplicité d’utilisateurs (créanciers, actionnaires, salariés, l’État, etc.), alors que dans les pays anglo-saxons, elle doit surtout permettre aux investisseurs de prendre des décisions rationnelles. L’important étant de rémunérer les actionnaires, l’accent est donc tout de suite porté sur la rentabilité (chiffre d’affaire dégagé, gross margin par client, etc.) et donc une analyse poussée du P&L. Donc un financier développe tout de suite un rôle très transversal de business partner avec l’ensemble des services. Cette vision arrive en France mais met plus de temps et nous avons un côté réglementaire plus lourd à mettre en œuvre. »
DB : « Oui c’est un plus à tout point de vue. Le fait d’avoir vu différentes cultures, d’avoir travaillé dans des environnements de travail différents, mais également en termes d’ouverture d’esprit et de capacité à remettre en question des modes de fonctionnement. Les expériences à l’international apportent beaucoup en matière d’agilité. »
GL : « Oui clairement car vous développez de bonnes capacités d’adaptation et une certaine débrouillardise face à tout environnement. Vous savez vous adapter au changement et vous avez appris à faire face à n’importe quel type d’interlocuteurs du fait des différentes cultures côtoyées. »
DB : « Ça a été un accélérateur de carrière. C’est valorisé pour accéder à certains niveaux de poste, et ça m’a permis d’avoir des opportunités plus rapidement. »
GL : « Je ne pense pas car le fait d’avoir eu des expériences « hors des sentiers battus » m’a beaucoup apporté en matière de technicité mais aussi de communication et d’adaptation. »
DB : « Professionnellement non. Mais personnellement, je trouve qu’il est bien plus difficile de rentrer dans son pays que d’en partir. L’expérience internationale change la perception des choses, l’ouverture d’esprit… Le retour dans un environnement moins multiculturel, qui n’a pas évolué alors que vous, vous avez changé, demande une réadaptation qui n’est pas évidente quand on a été exposé à un mode de fonctionnement différent. Il y a un accompagnement de la part de General Mills à la culture du pays où l’on va, par du coaching, un peu avant et un peu après pour discuter des différences culturelles et de la phase d’adaptation au pays et à son nouvel environnement culturel. Lors des retours, cela parait moins évident, mais le fait est que cette phase de réadaptation est nécessaire, alors qu’on s’y attend moins. Il y a des collaborateurs qui étaient là quand je suis parti et qui étaient à la même place à mon retour, ils n’ont pas évolué mais moi oui, ce qui change tout en termes de perception. »
GL : « Pour ma part, j’étais dans des groupes différents. Mais oui clairement ! Ayant commencé à travailler en Ecosse puis aux Pays Bas, l’arrivée en France a été un vrai choc culturel notamment du point de vue de la langue. J’arrivais sur un poste de responsable avec l’utilisation du français comme langue de travail, ce qui m’a demandé un vrai effort d’adaptation. En anglais, vous allez tout de suite à l’essentiel et droit au but quand vous mettez davantage de rondeurs et de formes en français. J’avais parfois l’impression d’être un étranger dans mon propre pays. Et les relations que vous entretenez avec vos collègues sont également différentes. Le rythme « métro/ boulot/ dodo » que vous pouvez avoir à Paris n’existe pas en Hollande par exemple. »